Propos recueillis et traduits par Paul Herbert

A l'occasion de la sortie du tome 4 des Chroniques Saxonnes en janvier, Bernard Cornwell a répondu à toutes nos questions sur son processus créatif, ses personnages et sur l'univers qu'il développe dans ses livres.

 

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire Les Chroniques Saxonnes ?

L’ignorance ! Ou, pour être plus précis, l’ignorance de la manière dont l'Angleterre (et, dans une moindre mesure, l'Écosse et le Pays de Galles) est devenue une nation. L'Histoire qui m'a été enseignée à l'école mentionnait l'invasion romaine de la Grande-Bretagne et la révolte de Boudicca, puis elle sautait directement au roi Alfred laissant les gâteaux brûler (une des légendes sur la vie d’Alfred), mais l'histoire de l'Angleterre en tant que telle n’était vraiment enseignée qu'à partir de 1066. Pourtant, un Saxon né l’année de la mort d’Alfred, en 899, ne savait pas ce qu’était l’Angleterre – elle n’existait alors pas. Au lieu de cela, il y avait quatre royaumes saxons qui, au cours des quarante années suivantes, seraient unifiés en un seul - l'Englaland comme on l'appelait à l'origine. La France, je le sais, a traversé un processus similaire d'assimilation de royaumes indépendants et de régions en un seul pays, et c'est une histoire qui mériterait d'être racontée.

Donc, l'inspiration de base derrière Les Chroniques Saxonnes, c’est ma propre curiosité au sujet de la naissance difficile de l’Angleterre ! Cependant l'impulsion immédiate pour écrire cette histoire, n’est arrivée que lorsque, beaucoup trop tard dans ma vie, j'ai rencontré mon père biologique qui vivait au Canada et qui m'a montré un arbre généalogique révélant que j'étais un descendant d'Uhtred de Bebbanburg. Comment, me suis-je demandé, Uhtred a-t-il conservé sa forteresse à une époque où toute la Northumbrie (le royaume saxon le plus septentrional) était gouvernée par les Vikings ? J'ai donc décidé de raconter son histoire.

 

Quel travail de recherche faites-vous lorsque vous vous lancez dans l’écriture d’une série comme Les Chroniques Saxonnes ?

Je lis tout !! Et pas seulement les livres d’histoire sur l'Angleterre anglo-saxonne, je lis aussi les écrits des contemporains. Nous avons la chance que le roi Alfred ait lancé l’écriture de Chroniques Anglo-saxonnes, bien que ses entrées soient souvent très rares et pas très utiles, mais il existe d'autres chroniques européennes contemporaines qui viennent ajouter des informations. La poésie anglo-saxonne dans toute son étendue est très utile aussi, elle qui est souvent très émouvante et donne un aperçu de la façon dont les gens pensaient à cette époque. Il en va de même de ce qui reste des textes vikings.

J'ai également visité tous les sites historiques qui existaient encore. Bebbanburg (maintenant le château de Bamburgh) était un endroit évident à visiter, mais certains des champs de bataille sont encore reconnaissables, et il existe quelques bâtiments saxons qui tiennent encore debout.

 

Les sources historiques pour la période décrite dans les Chroniques Saxonnes sont assez rares, est-ce que cela a posé des problèmes dans l’écriture des aventures d’Uhtred ? Quels sont les textes qui vous ont le plus servis dans votre écriture ?

Probablement les Chroniques Anglo-saxonnes, mais comme je l'ai dit, elles sont souvent très inutiles car les entrées sont courtes et ne fournissent pas le contexte qu'un historien pourrait souhaiter. Mais ce manque d'information est d'une immense aide pour un romancier historique - si vous ne savez pas ce qui s'est passé, inventez-le !

 

Vos livres mêlent à la fois réalités historiques et personnages fictifs, pour vous où se trouve l’équilibre entre fiction et histoire dans un roman historique ?

Cela dépend vraiment de la période, mais quelle que soit l’époque, le contexte historique doit être authentique, même si l'histoire elle-même est entièrement fictive. Je dis aux gens que je ne suis absolument pas un historien - je suis un conteur ! La fiction prime. Je peux prendre des libertés avec l'Histoire de l'Angleterre saxonne parce que les sources sont si rares, mais si j'écris sur une période, disons la Révolution américaine, qui a des sources détaillées - témoignages, lettres, sources contemporaines - alors je dois être faire beaucoup plus attention de ne pas changer la vraie Histoire.

 

Uhtred et Ragnar, deux des personnages que vous avez créé pour Les Chroniques Saxonnes, font preuve d’une tolérance pour le moins exceptionnelle pour l’époque avec les Saxons et les Danes, est-ce que c’est une manière pour vous de créer un pont entre ces deux peuples qui se sont affrontés dans cette période à la fois à propos des terres mais aussi de leurs religions ?

Je pense que cela reflète une réalité ! Nous savons qu'aux VIIIe et IXe siècles, les Danes et les Norses se sont installés dans le nord et l'est de l'Angleterre. Et ce processus était parfois violent - il y a eu des batailles - mais aucune des sources ne suggère qu'il y ait eu un génocide. Les Vikings voulaient des terres, et ils les ont prises, mais ils avaient besoin de la population indigène pour travailler cette terre et, inévitablement, ils se sont mariés entre eux. Je ne dis pas que c'était un processus totalement pacifique, mais les chrétiens et les païens, les Saxons et les Norrois vivaient côte à côte et, comme en Normandie, les étrangers ont fini par parler la langue locale et par finalement adopter la religion chrétienne. La langue anglaise a été énormément enrichie par les envahisseurs, mais il faut bien noter que les descendants de ces envahisseurs en sont venus à parler anglais.

 

Dans l’imagerie populaire le Viking est ce barbare païen au casque à cornes qui détruisait tout sur son passage, mais dans vos livres ont les découvre sous un tout autre jour. Est-ce que c’était important pour vous de brosser un portrait plus fidèle à la réalité historique du Dane et de ne pas tomber dans la caricature ?

Comme je viens de le dire, il y a eu des batailles. Parfois, une horde de Vikings débarquait pour piller et conquérir, voulant régner sur toutes les terres qu'ils envahissaient, mais la plupart d'entre eux voulaient simplement de bonnes terres agricoles. Ils étaient agriculteurs, pêcheurs, commerçants et au fil du temps, ils se sont assimilés. Je ne nie pas que l'image romantique des Vikings est extrêmement attrayante, mais c'est surtout cela, une image romantique et, pour autant que je sache, les célèbres casques à cornes ont été l'invention des costumiers d'opéra du XIXe siècle !

 

Pourquoi avoir fait le choix sémantique de distinguer les Norrois (avec les Danes, les Norses, les Sviards) du terme de Vikings qui est réservé pour ceux d’entre eux qui partent au combat ?

Je ne sais même pas ce que signifie le terme « Viking » ! Cela semble avoir été une activité plutôt qu'une dénomination ethnique ; des hommes (surtout des hommes) sont devenus « vikings», ce qui consiste simplement à faire des raids à la recherche d'or, d'argent, de bétail, d'esclaves et de terres. Et les Saxons sont aussi devenus vikings - tout comme les Frisons.

 

L’Angleterre de cette époque est un véritable creuset culturel avec plusieurs vagues d’immigration successives que ce soient les peuples Celtes, les Scots, les Irlandais, puis les Angles et les Danes puis plus tard les Normands menés par Guillaume le Conquérant. Est-ce que cela trouve un écho pour vous dans la réalité contemporaine et la peur qu’on peut voir naître aux Etats-Unis et en Europe de l’immigration ?

Je ne peux pas dire que c'était une préoccupation majeure dans mon écriture, mais l'histoire qui se déroule montre que l'Angleterre d'origine était un creuset de peuples différents. Pour Alfred et ses successeurs, le véritable problème avec les immigrants était leur religion : si un Dane se convertissait au christianisme, il devenait immédiatement acceptable. Il est significatif qu'au Xe siècle, un fils d'immigrants Danes soit devenu archevêque de Canterbury. L'aversion pour les immigrants n'était donc pas vraiment une préoccupation ethnique, mais un préjugé religieux. Quant à la réalité contemporaine, il y en a de forts échos, même si malheureusement les préjugés ethniques sont beaucoup plus forts. Mais la peur occidentale de l'islam fait bien écho à la peur chrétienne saxonne du paganisme. Au final, je suis convaincu que la plupart des immigrés, ou du moins leurs enfants, viennent pour adopter les façons de vivre de leur pays d'accueil.

 

L’histoire des Chroniques Saxonnes est racontée par le biais d’Uhtred, mais en filigrane c’est surtout celle d’Alfred le Grand que l’on retrouve : est-ce que finalement ce n’est pas lui le personnage principal des Chroniques Saxonnes ?

Alfred domine les premiers livres des Chroniques Saxonnes et, si ce n’est pas le personnage principal, il est la principale conscience morale de cette histoire. C'était vraiment un homme extraordinaire et sa qualité la plus importante était peut-être son intelligence. L'intelligence chez les monarques est rare, mais les Saxons ont eu une chance extraordinaire d’avoir Alfred, un homme qui a compris la crise dont il a hérité et a vu comment la surmonter.

 

Alfred le Grand est le seul roi d’Angleterre à avoir reçu le qualificatif de « great », est-ce que pour vous, c’est lui le plus grand roi qu’ait connu l’Angleterre ?

Malheureusement, il n'a jamais été le roi de l'Angleterre, bien qu'il ait eu l'ambition d'unir les quatre royaumes, un processus qui a été achevé par son fils Edward, sa fille Æthelflæd et son petit-fils Æthelstan. Mon opinion personnelle est qu’Elisabeth I mérite ce titre honorifique de « great », même si ce n’est pas arrivé ! Mais oui Alfred mérite vraiment ce titre. Un homme plus faible aurait sûrement conduit le Wessex (le royaume le plus au sud) à sa perte au profit des envahisseurs Danes et que serait l'Angleterre d’aujourd'hui ? La Daneterre ? Son intelligence, sa détermination et sa féroce ambition ont préservé la culture, la langue et la terre des saxons.

 

Alfred et Uhtred ont des personnalités complétement opposées et pourtant dans vos romans, ils sont attirés l’un vers l’autre malgré leur inimitié : est-ce que c’était une manière pour vous de créer un contraste pour à la fois mieux comprendre les qualités et les défauts d’Alfred mais aussi pour présenter une histoire moins Anglo-centrée avec un point de vue aussi équitable que possible entre les angles et les Danes ?

Il aurait vraiment été trop facile de présenter Uhtred comme un grand héros chrétien. Il a besoin d'Alfred et Alfred a besoin de lui, mais cela rendait les livres beaucoup plus agréables à écrire s'il y avait une tension constante entre eux !

 

D’un côté on a Uhtred qui est l’archétype même de l’homme alpha de l’époque, un guerrier légendaire et de l’autre nous avons Alfred, extrêmement intelligent mais inapte au combat. De mettre en rapport ces deux personnages est-ce que c’est pour vous le moyen de symboliser un passage de flambeau qui a eu lieu à cette époque entre une vision de la société gouvernée par la guerre et le sang vers un autre où l’intelligence prime sur la force physique dans le choix des personnes qui accèdent au pouvoir ?

Ce qu'Uhtred apprend d'Alfred, c'est qu'aucune société ne peut survivre sans loi. Ce qu'Alfred apprend d'Uhtred, c'est que toute société a besoin d’être protégée et pour cela il faut des guerriers. C'est une belle idée romantique que tout ce dont un homme a besoin est de mettre un casque, de tirer une épée et de faire ce qu'il veut, mais en fin de compte, ce qui protège une société, c'est la loi.

 

D’ailleurs où va votre allégeance dans les livres plutôt vers les Angles ou vers les Danes ?

Vers les Northumbriens ? Beaucoup d'entre eux Danes, beaucoup d'entre eux Saxons ! En fin de compte, ils deviennent tous anglais - Danes et Saxons !

 

Et quel est votre personnage préféré dans les Chroniques Saxonnes ?

Je dois dire Uhtred, c'est mon ancêtre ! Mais j'avoue que c'était toujours un plaisir d'écrire sur Alfred.

 

Alfred était un roi à la fois très intelligent et extrêmement pieux tandis qu’Uhtred ne cache pas son dédain et son ironie à l’encontre de l’Eglise, Uhtred finalement, ne se fait-il pas l’écho de votre avis sur cette période historique et sur Alfred ?

J'avouerais probablement qu'Uhtred est mon émissaire et qu'il relaie allègrement mon opinion sur le christianisme.

 

Vos romans ont balayé de grandes périodes historiques avec les légendes arthuriennes, la guerre civile américaine, les guerres napoléoniennes, Azincourt et bien sûr pour les Chroniques Saxonnes, la grande invasion Danes, le dénominateur commun de tous ces livres semble être l’Angleterre et son histoire, est-ce que c’est votre volonté de créer une sorte de mythologie moderne de l’Angleterre ancrée dans l’histoire ?

Ce n'est vraiment pas le cas ! C’est juste que j’ai grandi en Angleterre et que j’ai fait mes études en Angleterre et je connais bien mieux l’histoire de la Grande-Bretagne que, disons, l’histoire des États-Unis où je vis. Mon désir, tel qu'il est, est de divertir avec des histoires et j'écris sur ce que je connais le mieux.

 

Quel est votre processus d’écriture lorsque vous vous lancez dans un nouveau roman ?

Malheureusement, je ne peux jamais planifier un roman - je sais que certains écrivains le font et je les envie. Mais pour moi, la joie d'écrire un livre est la même que d'en lire un : découvrir ce qui se passe dans l’histoire ! Alors je commence généralement par jeter le pauvre Uhtred dans une situation périlleuse et voir comment il s'en sort, et ainsi de suite. Ce n’est pas une manière très efficace d’écrire, je suis souvent aux trois quarts de l’écriture du livre quand je découvre de quoi il parle vraiment, mais c’est la seule façon pour moi d’écrire un roman.

Et sinon ? C’est un travail ! Vous êtes assis au bureau tous les jours et vous travaillez !

 

Est-ce qu’il y a encore une chance pour nous d’aller au Valhalla ?

Je suppose qu'un jour nous le saurons ? Mon propre soupçon est que le Valhalla, le ciel, l'enfer et le paradis sont tous des produits de l'imagination. Et est-ce qu’on voudrait vraiment aller au Valhalla? Moi, je voudrais plutôt passer l'éternité avec ma femme et je ne pense pas qu'elle soit qualifiée pour entrer au Valhalla. Alors, le paradis ? Là où on nous dit que nous passerons l'éternité - l'éternité ! – à chanter les louanges de Dieu. OMG cela semble terrible ! Est-ce que je peux inventer un nouveau paradis alors ?

 

Nous adressons tous nos remerciements à Bernard Cornwell pour avoir répondu à nos questions et à son agent pour les lui avoir transmises.

 

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