Si vous ne le saviez pas encore, Andrzej Sapkowski, l’auteur du Sorceleur, a écrit une autre série appelée La Trilogie Hussite dont on vient de publier le premier tome, La Tour des Fous et que vous pouvez retrouver par : bit.ly/hussites1

L’histoire de ce nouveau roman se déroule pendant les guerres hussites, une période plutôt méconnue mais ô combien fascinante de l’histoire d’Europe Centrale qui prend place au début du XVe siècle. C’est dans un Royaume de Bohême ravagé par la guerre, les épidémies et les conflits religieux qu’on suit Reinmar von Bielau, surnommé Reynevan, herboriste, espion, magicien à ses heures et indécrottable romantique qui part à la recherche de sa Dulcinée à travers toute la Silésie.

Cet article est la deuxième partie de notre guide sur l’histoire des hussites. Si vous n’avez pas encore lu la première partie, vous pouvez la retrouver par ICI ou lire le petit résumé ci-dessous qui vous lancera dans la fabuleuse histoire des hussites ! 

 

Dans l'épisode précédent…

Dans le précédent épisode qui était vraiment fort en papes, on a vu qu'au début du XVe siècle rien n’allait plus chez les catholiques. Ce n’est pas un, pas deux, mais bien trois papes qui se disputaient la coiffe papale (l’un à Pise, le deuxième à Rome et le troisième à Avignon). C’est sur les braises de cette situation un petit peu préoccupante qu’on appelle le Grand Schisme d’Occident qu’ont émergé des voix divergentes, dont celle d’un universitaire et prêtre Pragois au cœur du Royaume de Bohême, j’ai nommé Jan Hus. 

Dès 1409, Jan Hus va commencer à critiquer l’Eglise dans ses prêches notamment à cause de l’utilisation des indulgences (ces petits sauf-conduits qu’on paye pour aller plus facilement au Paradis). Dès lors, il réunit autour de lui une assemblée de fidèles, séduits par ses idées égalitaires, sa vision d’une Eglise plus proche du peuple, qui serait retournée aux textes fondateurs et qui traiterait tout le monde sur un même pied d’égalité quelle que soit la naissance. Et pour marquer le coup, Jan Hus va faire l’impensable, pendant la messe, il va donner la communion sous les deux espèces : le pain et le vin. C’est le début des hussites. 

Invité au Concile de Constance en 1415 pour présenter ses idées, Jan Hus tombe en fait dans un piège fomenté par les Papes qui se sont réunis et par Sigismond de Luxembourg, le roi du Saint Empire Romain Germanique dont fait partie le Royaume de Bohême.  Jan Hus est condamné le 6 juillet 1415 pour hérésie, et brûlé vif. Un nouveau pape (un seul cette fois) est élu, qui choisit le nom de Martin V dont on va entendre parler dans La Tour des Fous

 

Le Hussisme : une affaire de Jan

Vous voilà donc au clair avec ce qu’il s’est passé avant la mort de Jan Hus. Mais en 1415 on est encore 10 ans avant le début de La Tour des Fous, et dans cette décennie, beaucoup de choses vont se passer dans le Royaume de Bohême et plus généralement dans toute l’Europe Centrale de l'époque. Et comme il n’y a rien de mieux qu’un Jan pour finir ce qu’un autre Jan a commencé, on va vous parler de deux autres porteurs de ce magnifique prénom qui ont forgé la destinée des hussites et marqué l’Histoire du Royaume de Bohême de l’époque.  

 

Jan Želivský : le Jan qui voulait qu’on soit tous égaux

Pour découvrir notre autre Jan, on va retourner à Prague en 1415 quand la nouvelle de la mort de Jan Hus arrive aux oreilles de nos doctes Pragois. Comme vous vous en doutez, les hussites prennent très mal la nouvelle de la mort de leur maître à penser. La diète des seigneurs de Bohême envoie au Concile de Constance une protestation indignée. Quant au peuple de Bohême, il commence à vouer un culte pour Jan Hus qui est élevé au rang de saint et de martyr. Son martyr, justement, ravive le feu du Hussisme et du nationalisme Tchéque contre les élites germaniques. Partout dans Prague et dans la Bohême, des églises se mettent à donner la communion sous les deux aspects à leurs fidèles, le calice devient d’ailleurs le symbole de cette révolte qui gronde, le Concile de Constance ayant interdit cette pratique considérée comme hérésiarque. Mais comme le concile de Constance est encore en cours en 1415 aucune action n’est alors entreprise contre les hérétiques, ce qui laisse le temps à toute la Bohême de devenir bientôt hussite.

En 1418, tout change avec notre bon Martin V. Maintenant qu’il n’y a plus deux autres papes dans les pieds du vrai pape pour l’embêter, il a un peu de temps pour s’ennuyer, et ça tombe bien, il y a cette hérésie qui a pris beaucoup d’espace en Bohême et qui commence à faire beaucoup de bruit. Sans surprise, Martin V décide qu’il serait bon de s’occuper de ces hussites façon albigeois, c'est-à-dire cuit à point au feu de bois. Dans sa noble quête, il quémande le soutien de Sigismond de Luxembourg qui accepte, magnanime. Et ça tombe bien, il se trouve que le frère aîné de Sigismond, n’est autre que Wenceslas IV, le roi de Bohême. Il fait donc pression sur ce dernier, qui, doté d’une faible volonté, cède très facilement aux demandes de son frère (qui est aussi son roi soit dit en passant). Bientôt, Wenceslas fait fermer les églises des hussites de Prague qui se font désormais appeler les Ultraquistes du latin “sub utraque” qui veut dire “sous deux espèces” comme la communion qui est donnée aux laïcs dans le Hussisme. Une résistance s’organise autour de notre second Jan, Jan Želivský, un prêtre prêcheur et adepte des enseignements de Hus, qui est devenu grâce à son éloquence et à son ardeur, le leader des ultraquistes. 

Le 30 juillet 1419, il fait un sermon virulent, attaquant devant sa congrégation le nouveau conseil de la cité (composé en majorité de sympathisants au Saint Empire Romain Germanique) et à la papauté, qui ont passé de nombreuses mesures oppressives contre les hussites. Après avoir célébré cette messe, Želivský mène une marche de protestation  jusqu’à l’hôtel de ville de Prague, où siège le conseil. Oui mais voilà, au bout du chemin, il n’y a pas que des fidèles de sa paroisse qui composent le cortège, mais bien toute une troupe armée qui a grossi du nombre des mécontents. Ils arrivent donc à l’hôtel de ville et exigent que les prisonniers hussites soient libérés. Le conseil de la ville refuse.

La foule en colère cède alors, et parvient à prendre l’hôtel de ville par la force et à se saisir des membres du conseil. Mais ça ne s’arrête pas là. Comme ils sont déjà en si bon chemin, ils se disent que ça serait bien que ces conseillers prennent la porte… ou à défaut la fenêtre et ce de manière très littérale. Ce jour-là, tous les conseillers sont poussés par les fenêtres de l’hôtel de ville dans une foule de hussites aux lances tendues et, comme vous vous en doutez, ils ne s’envolent pas et meurent empalés. Cet événement sera ensuite appelé la Première Défenestration de Prague (parce que oui, si vous vous le demandiez, il y en aura une autre ; ils sont décidément mutins ces Pragois). En apprenant la nouvelle, le Roi Wenceslas IV fait une attaque et meurt peu après : pas très solide le bougre. 

 

 

Pas stupides,  les révoltés de Prague s’organisent aussitôt sous la houlette de Želivský. Après conciliation, ils adressent à Sigismond de Luxembourg ce qu’on appellera Les articles de Prague, qui se composent de quatre exigences qu’ils veulent voir reconnues par le pouvoir royal et par la papauté. Ils exigent :

- Que la communion sous les deux espèces soit autorisée ;

- La pauvreté des ecclésiastiques ;

- La punition des péchés mortels sans distinction du rang ou de la naissance du pêcheur ;

- La liberté de prêche.

 

La réponse de Sigismond et du Pape Martin V ne se fait pas attendre et vous l’avez deviné, c’est un non retentissant. C’est ce refus qui va mettre le feu aux poudres et va transformer les guerres hussites (nom donné aux affrontements jusqu’à cette période), en croisades contre les hussites. Suivront alors une insurrection de dix-huit ans et cinq croisades envoyées par le pape Martin V et le roi du Saint Empire Germarnique, Sigismond, auxquelles les Tchèques opposeront une résistance plutôt très convaincante.

A la suite de cette défenestration de Prague, Jan Želivský devient le représentant et le chef des Utraquistes, les hussites de Prague qui vont bientôt se séparer d’autres courants hussites qu’on va voir juste après. Jan Želivský fait appliquer une sorte de règne de terreur sur Prague, il va même plus loin que Jan Hus en prêchant l’égalité totale de tous les individus, une position qui ne plaît  guère aux nobles qu’ils soient Tchèques ou Germaniques. Ce qui au final va l’entraîner vers une mort un peu prématurée et très raccourcie de la tête en 1422. 

 

Le Jan qui n’aimait pas les yeux

On finit donc avec le dernier Jan qui va prendre une place prépondérante dans la révolution hussite à partir de 1419, et sans qui, le hussisme n'aurait pas eu la même postérité.

Jan Žižka, notre dernier Jan, était d'abord un mercenaire qui a combattu contre les chevaliers teutoniques en Pologne, il y a perdu un œil (pas de quoi en faire une montagne). En 1419, il vient tout juste de quitter son poste de capitaine de la garde du palais de Wenceslas. C’est sous son commandement et grâce à son génie militaire que les hussites vont réussir à résister pendant les cinq années à venir aux différentes croisades commanditées par le pape Martin V et le roi Sigismond de Luxembourg.

A peine la nouvelle de la croisade que veulent organiser Martin V et Sigismond (qui prétend désormais à la couronne de Bohême, en plus de sa couronne du Saint Empire Romain Germanique depuis la mort de son frère), arrive à ses oreilles, Žižka organise les forces des hussites. Fort de son expérience militaire, il arrive rapidement à occuper la seule forteresse de Prague qui n'était pas encore aux mains des anti-hussites. Grâce à cette position, il repousse les anti-hussites hors de Prague, qui passe définitivement sous le contrôle des hussites. Oui, mais voilà, derrière le dos de Žižka et des Taborites (nom que se donnent les adeptes d’un nouveau courant du Hussisme en référence au mont Tabor dans la Bible et dont fait partie Žižka ), les autres hussites menés par Želivský acceptent de rendre la forteresse qu’occupe Žižka en échange de la liberté de culte hussite dans Prague.

Furieux, Žižka et les Taborites, qui sont devenus la branche un peu plus extrême des hussites qui n’acceptent aucun compromis avec l'Église ou la couronne, quittent Prague en mars 1420 pour rejoindre une forteresse reconstruite par d’autres Taborites dans le sud qu’ils renomment Tabor, pour rappeler encore une fois leur nom (un peu de cohérence, ça ne fait pas de mal). C’est à partir de cette position fortifiée que Žižka va résister aux assauts de la première croisade menée par Sigismond et Martin V. 

Alors que ses troupes sont composées en grande majorité de paysans gagnés à la cause hussite, Žižka va réussir à infliger défaite sur défaite aux armées de Sigismond plus lourdement équipées et fournies. Et ça, c’est grâce à son génie militaire. Parce que Žižka, il a de bonnes idées. Il se dit par exemple, “et si j’armais des chariots, je renforçais leur construction et que je mettais une dizaine de bon gars armés de lances, d’arbalètes et de canons à main (non, vous ne rêvez pas, ça existait !). Et si j’en alignais une douzaine de ces chariots contre notre bon Sigisbert ?”. Et cette bonne idée qu’il a eu de créer des sortes de tanks médiévaux, Žižka décide de l’appliquer sur le champ de bataille et ça lui permet d’en gagner de nombreuses, des batailles.

 

 

Tout cela culmine en juillet 1420. Sigismond a réussi à encercler Prague, et l’assiège. Mais c’est sans compter sur Žižka et son armées de 9000 hommes qui parvient à défaire l’armée de Sigismond le 14 juillet lors de la bataille de Viktov, mettant fin à la première croisade (ne vous enflammez pas, il va y en avoir d’autres).

 

Entre 1420 et 1425, deux autres croisades suivront, toujours menées par Sigismond avec le soutien de Martin V. Elles seront elles aussi défaites par les hussites qui vont peu à peu consolider leur prise sur la Bohême. En 1423, la menace des anti-hussites s’apaise sans disparaître. Les dissensions qui existaient déjà entre Taborites, Ultraquistes et d’autres nouvelles factions du hussismes resurgissent. 

 Au cours d’une de ses campagnes, Jan Žižka va perdre son deuxième œil, mais, ça ne le décourage pas d’un poil. Il continue pendant deux ans à diriger son armée jusqu’à sa mort en 1424 des causes d’une forme de peste.

 

Au début de La Tour des Fous, en 1425, où en est-on alors ? 

Voilà pour l’histoire des croisades anti-hussites jusqu’en 1425, date à laquelle La Tour des Fous, le tome 1 de La Trilogie Hussite de Sapkowski commence. Alors, où est-ce qu’on en est de cette situation épineuse en 1425 au début du roman ? 

Et bien, nos trois Jan sont morts mais leur influence sur le hussisme et sur cette partie d’Europe centrale perdure de manière durable. Le Royaume de Bohême et une grande partie du Saint Empire Romain Germanique sont à feu et à sang, en pleine guerre civile entre hussites et anti-hussites. Ainsi, la Bohême est contrôlée par les hussites. Quant à la Silésie, la région où le périple de Reynevan commence dans La Trilogie Hussite, elle est sous le contrôle des anti-hussites, favorables à la papauté et à la couronne. Les hussites y sont alors pourchassés par l’inquisition, et condamnés à mort un peu partout pour juguler l’hérésie qui s’y répand aussi. 

Sigismond et Martin V, eux, sont encore vivants. Ils préparent une nouvelle croisade contre la Bohême, où se trouve le fief des taborites qui, après la mort de Žižka se sont renommés en Sirotci, “les orphelins” et luttent encore pour la réformation de l’Eglise. Ils sont sous le commandement d’un des anciens généraux de  Žižka, le prêtre Prokop Holý. 

 

C’est donc dans ce contexte que commence La Trilogie Hussite, à une époque où il ne fait pas bon être herboriste, espion, ou magicien.

 

Et si ce guide vous a donné l’eau à la bouche et que vous voulez plonger dans cette période fascinante de l'Histoire, le tome 1 de La Trilogie Hussite saura rassasier votre faim par ici : bit.ly/hussite1

 

Pour en savoir plus :

- Armand Jamme, (2005) Renverser le pape. Droits, complots et conceptions politiques aux origines du Grand Schisme d'Occident

- Jean Favier, Les Papes d'Avignon, Paris, Fayard,

- Laurent Theis, Histoire du Moyen Âge français, Perrin, 1992

- Stephen Turnbull, The Hussite Wars 1419–3, MEN-AT-ARMS 409



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