Comme à son habitude, l’homme qui murmure à l’oreille des lecteurs de Science-Fiction qu’est Tom Clegg vous présente de façon exhaustive la dernière nouveauté de la collection "Bragelonne SF". Ce mois-ci, il s’agit du très grand roman de Paul McAuley.

J’ai suivi la carrière de McAuley avec beaucoup d’intérêt, pratiquement depuis ses débuts dans les années 1980. Je le considère comme un des chefs de file de la renaissance de la SF britannique à cette époque, avec Iain M. Banks, Peter F. Hamilton, Stephen Baxter et Alastair Reynolds.

Il est sans doute un peu moins connu des lecteurs français que ses compatriotes, peut-être à cause de la variété de son œuvre, qui a tendance de sauter d’un sous-genre à un autre. Son premier roman, Quatre centes milliards d’étoiles (1988), qui a eu le prix Philip K. Dick, et sa suite La Lumière des astres (1991), sont des space operas injectés d’une bonne dose de science (Paul était biologiste avant de devenir écrivain à plein temps). Sable rouge (1993) se passe sur Mars, à une époque où le processus de terraformation entamé par des colons chinois est en train d’échouer. Les Conjurés de Florence (1994) est un roman qui peut être assimilé au steampunk, où les inventions de Léonard de Vinci et autres vont démarrer une révolution industrielle dans l’Italie de la Renaissance. Féérie (1995), roman lauréat du prix Arthur C. Clarke, décrit une Europe dystopique, avec la révolte des « poupées », des esclaves créées à partir de la modification génétique de l’ADN humain. Et il y a sa trilogie, Confluence (1997 à 1999), malheureusement non traduite en français, une épopée qui se déroule sur un artefact en dehors de notre galaxie et dans un avenir très, très lointain. Depuis 2000, Paul a principalement publié des thrillers situés dans un très proche avenir, avec des éléments SF plus ou moins forts, comme Une invasion martienne (2001), Diables blancs (2004), Glyphes (2005) et Cowboy Angels (2007).

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Mais pendant tout ce temps, Paul écrivait aussi une série de nouvelles qui exploraient les séquelles d’une « Guerre tranquille » (Quiet War) au début du XXIIIe siècle, entre la Terre, d’un côté, et les « Extros », des humains qui avaient colonisé le Système solaire extérieur, de l’autre. Chez Bragelonne, nous avons publié deux des ces récits dans nos anthologies : L’Histoire en marche (2000) dans Faux Rêveur, et Les Jardins de Saturne (1998) dans Science-Fiction 2006. J’étais fasciné par cet univers et, sachant que Paul préparait un roman intitulé The Quiet War, j’ai fait tout mon possible pour qu’on obtienne les droits pour le publier en France. Et puis j’ai engagé le meilleur traducteur SF qui soit, Jean-Daniel Brèque, qui avait déjà travaillé sur un certain nombre de textes de McAuley, pour faire le nécessaire.

Je crois que Paul McAuley et Jean-Daniel ont tous les deux réussi brillamment et le livre est à la hauteur de mes espoirs. Il s’agit d’un roman assez dense, qui joue sur plusieurs niveaux à la fois.

D’abord, c’est un space opera, ou du moins une aventure spatiale à grande envergure, qui met en scène un conflit qui se déroule sur divers mondes du Système solaire et implique un grand nombre de personnages. Mais contrairement à la plupart de space operas, il se situe dans ce que j’appelle le « moyen avenir », où les événements décrits ont encore un lien avec notre histoire et nos préoccupations, ici et maintenant, même si la situation a suffisamment évolué pour être tout à fait dépaysant.

Au XXIIIe siècle, la Terre se relève péniblement de toutes les affres provoquées par le changement climatique. Les États-Unis et la Chine ont été rayés de la carte et des entités supranationales – l’Union européenne, mais aussi le Grand Brésil et la Communauté du Pacifique – ont pris la relève. La plupart de Terriens vivent enfermés dans les grandes villes, d’autres travaillent sur des projets pharaoniques pour restaurer les écosystèmes dévastés, tous sous la férule de quelques grandes familles et leurs « saints verts », qui ont établi une espèce de conservatisme écologique comme religion d’État. Mais il y a aussi les Extros, les descendants de savants qui ont fui la planète-mère pour fonder des colonies sur les lunes de Jupiter et Saturne. Des petites utopies scientifiques où ils se sont adaptés aux conditions locales, grâce aux modifications génétiques effectués sur les organismes qui servent à leur procurer de l’énergie et des matériaux. Et sur leurs propres corps, ce qui constitue un pêché majeur pour les Terriens. Certains Extros rêvent d’aller plus loin encore, et ouvrir la route vers les étoiles. Mais les grandes puissances de la Terre n’ont pas l’intention de les laisser faire. Et donc, dans les deux camps, on se prépare pour la guerre. Un conflit interplanétaire qui va décider le destin de l’humanité…

C’est aussi un roman de hard science, qui utilise très habilement les dernières découvertes scientifiques pour donner de la vraisemblance à toute l’action. Notamment les renseignements fournis par Cassini et autres sondes envoyées ces dernières années pour explorer les environs de Jupiter et Saturne. On a tendance à croire que les lunes de ces deux géantes gazeuses sont toutes les mêmes : des boules de rocher et de glace, sans beaucoup d’intérêt. En fait, chacune d’entre elles est un monde différent, en fonction de sa masse (et donc la pesanteur), son orbite autour la planète principale, la présence ou non d’une atmosphère, et l’histoire de sa formation. Les Extros ont dû prendre en compte tous ces facteurs, et par conséquent leurs villes et colonies sont extrêmement variées. C’est donc un vrai guide touristique d’une bonne partie du Système solaire que McAuley nous offre, et tous les détails sont en accord avec l’état de nos connaissances actuelles. Il y a aussi beaucoup d'informations sur la biologie et l’écologie, appliquées par les Terriens pour restaurer notre planète, ou par les Extros pour créer des habitats viables sur leurs lunes. Je trouve que le savoir étalé par McAuley dans ces domaines rajoute non seulement de la crédibilité à son histoire, mais aussi une touche de poésie, avec ces noms exotiques de plantes et d’autres organismes, ainsi qu’un réel sens d’un foisonnement de la vie sous des cieux étranges… Et puis, la rivalité entre les deux « sorcières génétiques », Sri Hong Owen et Averne, est l’un des points clés de l’intrigue.

Il s’agit également d’un roman de guerre, évidemment, et ceux qui pensent qu’ils auront affaire à un texte aride et dénué d’action ont tort sur toute la ligne : les scènes de combat dans ce livre sont époustouflantes ! Et il y a des espions et des agents provocateurs, certains dotés de talents « spéciaux », voire créés en laboratoire, en train de mijoter des coups bas dans tous les coins. Mais là encore, McAuley met le réalisme au service du dépaysement. Son livre a visiblement été très inspiré par les conflits « asymétriques » qui se multiplient à notre époque, où on voit une force militaire ayant une grande supériorité en matière d’armement confrontée à un adversaire mobile et connaisseur du terrain local. Et McAuley accorde aussi une grande importance au contexte politique. Les préparatifs de cette guerre sont menés avec le même mélange de mensonge, de cynisme, de bêtise et de fanatisme qu’on a vu trop souvent à l’œuvre en Irak ou Afghanistan. Cela dit, quand le champ de bataille inclut les anneaux de Saturne, dans toute leur splendeur et complexité, ou les marines doivent livrer un assaut contre une ville pressurisée sous dôme, ça promet énormément de choses !

Donc, ceux qui cherchent des émotions fortes et des « effets spéciaux » en auront amplement pour leur compte. Je dois dire néanmoins qu’il ne s’agit nullement d’un roman SF d’« évasion » pure et simple, mais plutôt de science-fiction « réaliste » qui parle de vrais problèmes et qui évoque une vraie curiosité pour l’univers qui nous entoure. Même quand tout cela se passe sous des cieux très étranges...

Tom Clegg

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