Par Paul Herbert

Si vous ne le saviez pas encore, Andrzej Sapkowski, l’auteur du Sorceleur, a écrit une autre série appelée La Trilogie Hussite dont on vient de publier le premier tome, La Tour des Fous et que vous pouvez retrouver par ICI

La Trilogie Hussite, comme son nom l’indique, comporte trois romans historiques, même si des éléments d’imaginaire se sont subrepticement glissés dans les interstices de leurs pages.

Cette trilogie prend place au temps des Croisades de Bohême (aussi appelés Croisades contre les Hussites ou Croisades anti-Hussites ou Guerres Hussites) qui ont agité l’Europe au XVe siècle. Et si comme moi, vous n’avez pas révisé votre histoire médiévale d’Europe Centrale depuis fort longtemps, vous vous demandez peut-être : mais c’est quoi donc ces Croisades de Bohême et ces Hussites ?

Cette question, elle est aussi passée par ma tête quand on m’a présenté ce nouveau cycle mais comme c’est quand même beaucoup plus simple d’entrer dans un roman historique quand on a deux, trois idées des petites broutilles qui se déroulent en arrière-plan, je me suis plongé pour moi, et pour vous aussi chers lecteurs dans cette histoire plutôt très méconnue chez nous mais ô combien fascinante des Croisades contre les Hussites.

 

Mais d’abord, de quoi ça parle, La Tour des Fous ?

 

Avant toute chose, laissez-moi vous présenter à grands traits où commence cette nouvelle fresque historique de Sapkowski. Dans La Tour des Fous, on suit Reinmar von Bielau, surnommé Reynevan, herboriste, espion, magicien à ses heures mais, avant toute chose, amateur de femmes mariées. Le problème avec les femmes mariées, c’est qu’elles ont généralement un mari. Or quand les frères du mari vous surprennent en train de fauter avec sa femme, la discussion qui s’en suit est rarement cordiale. On comprendra donc que Reynevan, qui se retrouve dans pareille situation, préfère prendre congé plutôt que d’affronter la colère de ces hommes parfaitement déraisonnables.

Dans La Tour des Fous, le premier tome de La Trilogie Hussite, on suivra donc Reynevan dans sa fuite effrénée à travers la Silésie, une des provinces du Royaume de Bohême, devant braver la maladie, la guerre, les conflits religieux et les querelles de vin (vous comprendrez plus tard) qui constituent alors le pain quotidien des habitants de cette région du monde. On est en 1425, il ne fait pas tellement bon être herboriste, espion, ou magicien, et encore moins d’avoir fauté avec la femme d’un autre, et ça Reynevan va vite l’apprendre à ses dépens. Mais si cette fuite à travers la Silésie de l’époque à la recherche de celle qu’il aime, se révèle particulièrement dangereuse et rude pour Reynevan, elle est surtout extrêmement trépidante et instructive pour nous lecteurs : car à travers les aventures et les rencontres de Reynevan c’est tout la virtuosité de Sapkowski qu'on découvre dans la maestria qu'il déploie à entrelancer fiction et Histoire. 

 

Trois papes pour le prix d’un

 

Pour bien comprendre le trouble qui va agiter le Royaume de Bohême au début du XVe siècle, on doit remonter un peu dans le temps pour s’attarder sur une histoire de papes.

Au début du XIVe siècle, ça ne file pas très doux entre la couronne de France et la papauté. Les prémices de la guerre de Cent Ans se font sentir, le système féodal ne répond plus vraiment aux besoins d'une société en pleine mutation, et Philippe le Bel, roi de France, n’a plus tellement envie d’écouter le pape. Après tout, il est roi, et de France qui plus est ! Pour soutenir son effort de guerre contre les vils anglais pour le contrôle de la Guyenne (qui correspond approximativement à l’Aquitaine d’aujourd’hui), Philippe commence en 1295 à prélever un impôt exceptionnel sur le clergé de son royaume, la décime. Le pape Boniface VIII, logiquement, n’apprécie pas trop cette initiative. Il écrit alors une bulle pour rappeler au bon roi Philippe à la mémoire trouble, que le clergé, eh bien, ça ne paye pas de taxe, sauf si tu t’appelles Dieu ou si tu as l’accord du Pape.  Et pour enfoncer le clou, Boniface réitère en 1302 avec une seconde bulle dans laquelle il entend réaffirmer la supériorité de l’Eglise sur les souverains.

 

 

Vous vous en doutez, Philippe, n’aime pas trop ça non plus. Et quand on n’aime pas une personne qui menace de vous excommunier et qu’on est roi, la meilleure solution est encore de faire remplacer ladite personne et par la force si possible. C’est ce qui va fatalement arriver.  Boniface est arrêté en 1303 et il meurt quelques semaines plus tard (comme dirait Marc Aurèle… c’est Commode).

Avec l’aide des Colonna, une des familles italiennes les plus influentes dans l'Église, Philippe arrive finalement à avoir un pape français (Clément V) qui sait faire ce qu’on lui dit, quand on lui dit. Mais comme ce dernier a peur de retourner à Rome (parce que les Romains, ce n’est pas toujours très tendre), on le consacre pape à Lyon et pour se rapprocher de la cour du roi de France, il finit par s’installer à Avignon en 1309.

Les années qui suivent, cinq papes d'Avignon successifs et la plupart des cardinaux sont alors français et proches du Roi de France. Et progressivement, ça va commencer à taper sur les nerfs des Romains qui étaient quand même très attachés à leur pape à Rome. A la mort de Grégoire XI, le Sacré Collège se réunit à Rome pour élire le nouveau pape, et c’est là que le peuple romain va faire pression sur les cardinaux en déclenchant une émeute le jour de l’élection. Comme par hasard, un pape italien est élu quelques jours plus tard en avril 1378 et prend le nom d’Urbain VI. À peine élu, Urbain se brouille avec une partie des cardinaux restés à Avignon. Le cuistre veut qu'ils renoncent à leurs pensions et qu’ils investissent dans la restauration de l'Église. Les cardinaux rebelles choisissent donc leur propre pape Clément VII. Je vous passe les détails mais globalement pour les trente années qui suivent, l’Europe aura deux papes, un pape et un antipape (nom que donnera a posteriori l’Eglise aux papes qu’elle ne reconnaît pas) qui vont s’affronter dans des luttes d’influence mais aussi des luttes armées pour revendiquer la vraie papauté.

Tout cela culmine en 1409 avec le Concile de Pise. Des cardinaux se réunissent en effet à Pise à cette époque pour discuter de ce qu’on appellera ensuite Le Grand Schisme d’Occident. Ces cardinaux, parce qu’ils sont serviables, aimeraient en terminer avec leur catholicisme bicéphale. Ils décident donc en solo de condamner les deux papes, et d’en élire un autre, le leur, Alexandre V que les deux autres ne reconnaissent évidemment pas.  Et voilà, c’est comme ça qu’on transforme un pape en trois !

 

 

En 1410 on a donc trois papes chacun soutenu par des puissances différentes : Jean XXIII, (le successeur d’Alexandre V qui n’a pas eu une longue carrière puisqu’il meurt en mai 1410) qui est pape à Pise, Benoît XIII qui est pape à Avignon et Grégoire XII qui est pape à Rome.

Ouf ! Voilà pour notre histoire de tri-papes. Vous pouvez juste retenir les noms de ces trois derniers, c’est eux qui vont jouer un petit rôle dans notre affaire de Hussites.

 

Une histoire de Jan

 

Vous l’avez peut-être compris, la religion va avoir un gros rôle dans la révolte de nos Hussites et de la Bohême plus généralement. Mais ce ne sont pas les seuls papes qui vont imprimer leur marque sur le monde de La Tour des Fous et influencer la vie de notre héros Reynavan, parce que les Guerres Hussites c’est aussi une affaire de Jan.

Pour les rencontrer, on doit s’éloigner un peu de Rome et du Royaume de France pour se rendre en Europe centrale, au sud-est du Saint-Empire Romain Germanique, au cœur du Royaume de Bohême de l’époque. Le Royaume de Bohême est alors un territoire qui englobe la Moravie, la Bohême, la Lusace et la région où se déroule le début de notre Trilogie Hussite, la Silésie. Aujourd’hui, si on devait délimiter ce Royaume de Bohême, il serait à cheval entre la République Tchèque, l’Allemagne et la Pologne. 

Au début du XVe siècle, la capitale de ce Royaume, c’est Prague et c’est là que notre histoire de Jan va débuter. Commençons donc par le plus important de ces Jan, dont vous verrez le nom fleurir tout au long de La Tour des Fous, le dénommé Jan Hus.

 

Jan Hus : le Jan qui voulait que tout le monde boive du vin pendant la messe 

 

Jan Hus est un théologien brillant de l’époque qui a passé la majorité de sa vie adulte à Prague, fait remarquable pour quelqu’un de basse extraction, puisque ses parents étaient pauvres et paysans de surcroît. Pour être plus précis, il a en fait passé la majorité de sa vie dans l’Université de Prague qui était alors l’une des plus réputée d’Europe, et la plus ancienne du Saint-Empire Romain Germanique, puisque la plus ancienne. C’est là qu’il a obtenu sa licence en 1393, sa maîtrise ès arts libéraux en 1396, c’est là qu’il est devenu professeur en 1400.

Il en devient finalement le recteur en 1409 alors qu’un profond sentiment nationaliste Tchèque est en train de s’enraciner dans l’université et dans Prague face aux élites germanisantes du Saint Empire Romain Germanique qui dirigent alors le Royaume de Bohème dont la population est pourtant en grande majorité Tchèque (ça sera important juste après). 

Jan Hus n’était pas qu’un universitaire émérite, c’était aussi un homme de foi, ordonné prêtre à Prague, et un grand prédicateur de l’époque. Oui, mais voilà, quand on est universitaire et prédicateur, on a tendance à ne pas tout prendre comme argent comptant et surtout, on le dit. Dans ses prêches, Jan Hus s’interroge sur l’application des textes de l’Eglise et sur le véritable sens des paroles du Christ. Il prône finalement le retour à une Eglise spirituelle, pauvre et la plus proche dans ses actions du texte de la Bible. Et ça, vous commencez à le voir, ça fleure bon l’hérésie dans une époque où questionner l’autorité du (d’un des) pape(s) entraîne à coup sûr l’excommunication. La pauvreté dans l'Église, vous l’avez compris, ça passe difficilement…

 

C’est là que nos amis les papes vont faire leur petite arrivée fracassante dans notre histoire hussite et de manière plus prégnante dans la vie de notre premier Jan.

Si vous vous souvenez de ce qu’on a vu un peu plus haut, en 1409, quand Jan Hus prend ses fonctions de recteur, la chrétienté d’occident a trois papes. Parmi ses papes, il y en a deux qui se foutent joyeusement sur la gueule à l’époque : Jean XXIII, le pape de Pise et Grégoire XII, le pape de Rome. En 1412, Jean XXIII avec le soutien du roi du Saint Empire Romain Germanique, un dénommé Sigismond de Luxembourg (dont vous entendrez aussi parler dans La Trilogie Hussite), veut lancer une croisade contre le Roi de Naples qui a alors l’impudence de soutenir son rival Grégoire XII. Oui mais problème, les croisades, ça coûte beaucoup (beaucoup) d’argent.

Heureusement quand on est pape, on est capable de créer et de vendre de petits sauf-conduits pour le Paradis, ce qui est quand même très pratique. Jean XXIII ne s’en prive pas, il vend donc ces sauf-conduits appelés Indulgences pour renflouer ses caisses et financer sa “croisade”. Mais ça, pour Jan Hus, qui prêche depuis quelque temps déjà que l’Eglise devrait être plus proche du peuple, pauvre, et ne pas faire des faveurs en fonction de la naissance, ça ne passe pas ! Il devient alors l’un des critiques les plus virulents de cette pratique et par là même de Jean XXIII. Ce dernier, fatalement, décide de l’excommunier, il ordonne alors que l’église de Jan Hus à Pragues soit démolie et pousse Jan Hus à s’exiler pendant deux ans parce que la colère d’un pape, ça fait quand même quelques dégâts.

 

Paradoxalement, c’est cette réponse violente du pape envers Jan Hus qui va diffuser les idées du prêcheur à travers toute l’Europe (l'effet Streisand, déjà en odeur de sainteté ?). Bientôt,  Jan Hus attire à lui des adeptes et ce bien au-delà du cercle des intellectuels de Prague, ou même encore des frontières du Royaume de Bohème. Des partisans provenant de tout le Saint Empire, commencent alors à venir le voir durant ses prêches en plein air pour écouter sa pensée. Ils voient alors dans sa critique virulente de l’Eglise, le reflet de leur propre ressentiment vis-à-vis des autorités religieuses, et entrevoient aussi peut-être la possibilité d’une Eglise plus juste, plus proche d’eux dans les idées de Jan Hus. Cet espoir qu’ils caressent se concrétise aussi dans la célébration même de la messe de Jan Hus. En effet, c’est à cette époque qu’il commence à donner la communion sous les deux espèces (le pain et le vin) à ses fidèles et qu’il autorise l’intégration des laïcs au sein même de la célébration, deux pratiques interdites par l’Eglise catholique de l’époque. C’est le début des Hussites, comme on les appellera par la suite. 

 

 

Cette petite affaire d’exil dure deux ans jusqu’en 1414 où les choses semblent s’améliorer pour notre Jan. Cette année, Jean XXIII, sous la pression de Sigismond de Luxembourg, le roi du Saint Empire, convoque une grande réunion entre papes pour régler une bonne fois pour toute cette histoire de schisme : l’idée étant d’enfin élire un pape pour les gouverner tous et dans les ténèbres les lier. Et dans ce grand désir d’unité religieuse et d’unification, Jean XXIII se dit que ça serait peut-être aussi le moment de régler ces petites hérésies naissantes qui ont profité du chaos causé par l’instabilité papale pour diffuser leurs viles idées de pauvreté. Une de ces pousses d’hérésie, c’est le hussisme, on décide donc d’inviter cordialement Jan Hus pour qu’il puisse débattre de ses idées dans une joute verbale avec un représentant de la droite pensée de l’Eglise. Tout cela doit se passer juste avant la petite réunion des papes, qu’on retiendra sous le nom de Concile de Constance. 

 

Oui mais voilà, Jan Hus, pas stupide on l’a vu, sent le piège venir et craint pour sa vie. D’abord, il refuse. Mais il finit par accepter après que Sigismond de Luxembourg lui assure sur son honneur, qu’aucun mal ne lui sera fait et lui donne même un sauf-conduit censé le protéger une fois à Constance. Rassuré, parce que l’honneur d’un roi, ça doit quand même valoir pour quelque chose, Jan Hus se rend donc à Constance pour enfin pouvoir présenter ses idées et réformer l’Eglise, il en est sûr ! Il arrive donc le 28 novembre 1414 à destination. Deux semaines plus tard, il est emprisonné. Refusant d’abjurer ses idées "hérétiques", il est condamné le 6 juillet 1415 pour hérésie, et brûlé vif.  Entre-temps, le Concile de Constance, à qui on a donné des pouvoirs supérieurs aux papes, sur la bonne idée de Sigismond, en profite pour élire son pape, différent des trois autres. Jean XXIII trahi lui aussi par Sigismond, s’enfuit. Comme quoi l'honneur d’un roi, ça vaut pas une prune… 

Le 11 novembre 1417 Martin V, est élu Pape à la quasi-unanimité, mettant fin au Grand Schisme d’Occident. Ce sera le seul vrai pape d'importance pendant les années suivantes et surtout au cours des événements du premier tome de La Trilogie Hussite.

 

Mais à ce moment, la nouvelle de la mort de Jan Hus est déjà parvenue depuis longtemps aux oreilles des sujets du Royaume de Bohême… L’Europe est sur le point de s’embraser. 

 

Un Jan peut en cacher deux autres

 

Voilà pour la première partie de notre guide sur les croisades anti-hussites avec plein de morceaux de papes dedans. Mais vous l’avez sûrement compris, ce n’est que le début pour nos tous nouveaux Hussites qui vont devoir affronter un empire, des croisades, tout ça aidés par deux autres Jan qui ne déméritent pas face à notre Hus. 

Pour l’histoire plus martiale des croisades anti-Hussites, et les conséquences de l'exécution de Jan Hus, c'est dans la partie 2 de ce guide à retrouver par ici :  bit.ly/guidehussites2

 

Et si cette première partie vous a donné l’eau à la bouche et que vous voulez plonger sans attendre dans cette période fascinante de l'Histoire, le tome 1 de La Trilogie Hussite saura rassasier votre faim par ici : bit.ly/hussite1

 

Pour en savoir plus :

- Armand Jamme, (2005) Renverser le pape. Droits, complots et conceptions politiques aux origines du Grand Schisme d'Occident

- Jean Favier, Les Papes d'Avignon, Paris, Fayard,

- Laurent Theis, Histoire du Moyen Âge français, Perrin, 1992

- Stephen Turnbull, The Hussite Wars 1419–3, MEN-AT-ARMS 409

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