Gemme demande : "quelle est la concordance entre le catalogue brage' actuel et James Bond ? C'est quoi pour vous, un défi, un pari, une occas' à ne pas rater ?"   Merci, Gemme, pour ta question. Déjà, sache que tu as gagné une montre RTL, c'est super, non ? La prochaine fois, tu pourras gagner un dîner avec Manu, ou, si tu n'as pas de chance, Sacdos te racontera une blague. Réponses : Un catalogue d'éditeur est globalement déterminé par deux choses : une tendance majeure qui permet l'identification par les lecteurs (Brag c'est essentiellement de la Fantasy, et dans une moindre mesure de la SF, de l'horreur et de l'humour) et qui assure le meilleur potentiel commercial (repérage, fidélisation…), d’une part ; et les envies des éditeurs, d’autre part, qui peuvent déroger à la tendance majeure pour des raisons aussi profondes et rationnelles que… « ouais ça a l’air cool hij hij hij ». Ca veut dire que dans le premier cas, nous choisissons des ouvrages qui conviennent à l’évidence à notre ligne éditoriale, et dans le deuxième cas, nous nous demandons dans quelle mesure nous pouvons prendre le risque de faire un bouquin qui ne semble pas correspondre au catalogue Bragelonne = que les lecteurs ne percevront pas comme un Bragelonne. Ces risques sont divers. Ils concernent notamment le positionnement en rayons de librairie : Brag est au rayon SF-Fantasy, du coup on doit à chaque fois se demander si le livre en question devrait y être ; s’il s’avère qu’il aurait de meilleures chances de toucher son public dans un autre rayon (polar ou littérature ou sciences humaines, par ex), ça se complique, et il se peut qu’on décide de ne pas le publier à cause de ça. Et on se dit : « dommage, mais on peut pas », ou « c’est un livre super, mais il n’est pas pour nous ». Ceci dit, ce sont les envies des éditeurs qui font évoluer la tendance majeure. Il n’y avait pas d’humour chez Brag jusqu’à ce qu’on ait envie de publier Lord of the Ringards, mais là encore on avait l’excuse de la parodie du roman de Fantasy le plus connu, donc c’était pas si loin. Pour la SF et l’horreur, il nous a vite paru évident qu’il valait mieux créer des collections dédiées, justement pour montrer que ces genres devenaient des tendances du catalogue = pour que ces genres soient identifiés comme tels grâce à un design de couverture spécifique, des sorties régulières etc. Mais il reste que certains ouvrages se suffisent à eux-mêmes et n’entrent pas dans une collection (et représentent donc en principe les plus gros risques commerciaux et de confusion par rapport au catalogue), parce que le fait de les associer par principe à un genre ne serait pas pertinent, et parce que c’est cet auteur, c’est ce livre que nous tenons à faire partager, plutôt que les genres et tendances dont il serait éventuellement issu. Exemples : Davi Calvo (Wonderful), Michael Marshall Smith (Avance rapide), James Lovegrove (Days), Graham Joyce (Lignes de vie, En attendant l’orage, et en février prochain Les Limites de l’enchantement), Mélanie Fazi (Arlis des forains), Jérôme Camut (la série Malhorne)… Ce que nous appelons entre nous les « OVNI ». Le choix de ces ouvrages est souvent le plus excitant parce que la mission d’un éditeur n’est pas seulement de faire plaisir à ses lecteurs en leur proposant des livres que a priori ils aimeront, c’est aussi de les surprendre en disant, en quelque sorte : « ce livre n’a à première vue aucun rapport avec notre ligne habituelle, et pourtant il nous paraît essentiel de le publier, c’est dire si on l’aime ! » Donc, pour en venir à Bond, ta question sur la « concordance » porte sur ces réflexions-là : en effet, James Bond ne s’inscrit pas dans une tendance majeure de Brag en ce qui concerne le genre, puisque nous ne publions pas de romans d’espionnage. Toutefois, la concordance d’un ouvrage avec le catalogue Brag se traduit également par une sorte de « flirt » avec ces tendances majeures, c’est-à-dire que d’une façon ou d’une autre, James Bond a à voir avec les émotions que nous aimons ressentir et propager : l'aventure, l'exotisme, l'évasion, l'action... Et en outre, par une envie d’éditeur qui n’est pas complètement chaotique, puisque même les tendances majeures découlent de ces désirs-là. En un mot, nous savons bien que nos lecteurs ne lisent pas que de la Fantasy, qu’ils aiment aussi plein d’autres genres, auteurs, films etc. Comme nous. Comme tout le monde. Du coup, la concordance est avant tout une convergence : nous aimons des auteurs aussi différents que Terry Goodkind et Graham Joyce, pourquoi pas vous ? C’est un principe très important de Bragelonne : on fait ce qu’on aime, on espère que vous aimerez aussi, tout en tenant compte des contraintes inhérentes au marché du livre (comme le positionnement en librairie évoqué plus haut), dont le problème crucial est : comment faire pour que ce livre arrive sous les yeux du lecteur qui devrait l’aimer ? Tous ses aspects, et d’autres encore, sont entrés en ligne de compte avant de décider de publier Casino Royale. Mais au fond, la question essentielle était : est-ce qu’on en a envie ? Est-ce que ça nous ressemble ? Est-ce que ça pourra faire plaisir à nos lecteurs ? Et, partant : est-ce qu’on en a assez envie pour affronter toutes ces difficultés de format, commercialisation, promotion, copyright… ? Heu… grave ! :))) Cela nous ressemble parce que James Bond est l’un des héros de notre jeunesse. Il fait partie de ces personnages, de ces ambiances, de ces dynamiques de récit qu’on a adorés quand on était gamins et qu’on aimera toujours, parce qu’ils font partie de nous, de notre histoire, parce que ça nous fait plaisir. Comme Star Wars, Indiana Jones, Tron, Dune, etc. Quand on dit à la team Bragelonne : « Hé… James Bond ? » et qu’ils répondent : « Cool ! » ou « Délire ! » avant de commencer à réfléchir aux questions que tu poses, ça veut dire ça. C’est nous, c’est à nous. Nous avons toujours dix ans. :) Mais James Bond, c’est pas n’importe quel personnage cool. C’est aussi l’une des plus grandes licences mondiales. C’est la plus longue saga au cinéma. C’est un classique de la littérature populaire. Tu sais, Bragelonne a une particularité qu’on n’aperçoit pas facilement en France. Lorsqu’Alain ou moi sommes à l’étranger et que nous décrivons notre catalogue de Fantasy, nos interlocuteurs pensent que nous sommes une énorme boîte, parce qu’un petit éditeur ne peut décemment pas avoir autant de best-sellers comme Goodkind, Gemmell, Feist, Brooks etc. Bond, c’est pareil : c’est la confiance qu’on nous accorde, pour la qualité de notre travail, l’importance de nos ventes, la force de notre réputation, et les relations amicales que nous entretenons avec nos partenaires internationaux, qui nous permet aujourd’hui de tenter une aventure comme Casino Royale. Cela représente donc quelque chose de très important pour Bragelonne, en termes d’image, mais aussi en ce qui concerne la pénétration du marché. Car Casino Royale ne sera pas au rayon SF-Fantasy. Il sera fortement mis en avant dans les grandes surfaces culturelles (Fnac, Virgin…) et les supermarchés. Car Bond est connu par un public beaucoup plus large que les fans de Fantasy. Il s’agit donc à la fois d’un défi très périlleux et d’une opportunité à ne pas rater, comme tu dis. Au final, très franchement, Casino Royale n’est pas pour nous un super plan fric. Loin de là. Si ça marche, tant mieux. Si c’est bof, ben… on aura fait de notre mieux. On aura permis à Pierre Pevel d’être le traducteur de Ian Fleming. On aura bu des Martini dry avec la délicieuse Jessica, agent des héritiers de Ian Fleming. Et on restera les éditeurs de James Bond. Et ça, c’est plutôt cool :) Stéphane / Marsus
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